Hommage à la mémoire de Valéry Giscard d'Estaing

Philippe Brindet - 5 Décembre 2020

Valéry Giscard d'Estaing est décédé à 94 ans.

Comme Président, il a inventé la Présidence moderne l'emmenant de son poste d'arbitre conféré par la Constitution de la Cinquième République, sans tomber dans les excès de l'hyper-président que d'autres imposeront plus tard.

Un grand homme d'Etat

D'une intelligence frappante, Giscard avait une faculté d'analyse dans de nombreux domaines et une facilité à former des synthèses éblouissantes. Dans le champ de la décision, il était précis et inflexible. D'une apparence hautaine, il savait que le pouvoir isole. Et il craignait tant cet isolement, qu'il a pris des initiatives qui ont fait rire les "rieurs", comme celle de s'inviter chez des citoyens ordinaires. Mais de telles initiatives démontraient qu'il savait que le président ne doit pas se laisser enfermer dans son Palais par ses courtisans - aujourd'hui, on les appelle les "conseillers". Pire, "on" recourt à la presse et aux réseaux sociaux. Funestes erreurs.

Avant lui, certains nomment Tardieu, Président du Conseil de la III° République.

Après lui, personne n'est encore parvenu à son niveau.

Une France industrielle forte dialogue avec l'Allemagne

C'est sous sa Présidence que la France est parvenue à son apogée industrielle et scientifique. C'est sous sa présidence que le TGV, l'arme nucléaire, les centrales nucléaires, mais aussi les adaptations à l'environnement ont pris leur essor le plus fort. On a vu la médecine et la pharmacie atteindrent leur apogée aussi à cette époque. Depuis, il faut reconnaître que aucune grande avancée technique ou industrielle n'a été développée en France. Giscard n'est sûrement pas le seul auteur de cette extraordinaire avancée qui avait d'ailleurs commencé sous Pompidou. Mais, il a sagement alimenté le progrès scientifique et industriel de notre pays.

Il est étrange que peu de commentateurs soulignent cette grandeur de la France sous Giscard. A l'époque, nous faisions au moins jeu égal avec l'Allemagne et Giscard était ainsi parvenu à initier un vrai partenariat avec le Chancelier d'alors, Helmuth Schmidt. Depuis Mitterrand, avec Kohl et Merkel, la France s'est fait imposer par l'Allemagne toutes les règles qui nous immobilisent aujourd'hui. L'héritage européen de Giscard a été complètement perdu, dilapidé. La politique européenne de Giscard ne pouvait se concevoir qu'avec une France industrielle forte.

Giscard réformateur ou interprète d'une évolution sociale ?

En fait, Giscard est surtout louangé pour les réformes sociétales - je crois que c'est comme celà qu'on les désigne - comme l'avortement, le droit de vote à 18 ans, l'ouverture d'une politique féminine. Aujourd'hui, il est encore très difficile de faire la part des choses. Giscard fut-il moteur dans ces évolutions ou imagina t'il qu'il était opportun de suivre un mouvement profond dans la société ? Je l'ignore. Mais, il fit ce qu'il fit. Et il est très possible que cela signa son arrêt de mort politique. Non pas parce que la droite conservatrice, scandalisée de ces avancées, lui eut fait défaut en 1981. Mais parce que, de faire le programme de son adversaire politique ne ruine pas le projet politique de celui-ci. Au contraire. En l'espèce, les français se sont dit qu'il valait mieux voter Mitterrand et avoir l'original plutôt que la copie.

Nous avons eu l'original et la décadence accélérée.

Giscard européen d'une France forte ...

Une autre initiative giscardienne aura bien sûr été le fédéralisme européen - le confédéralisme, je laisse à plus savant de gloser à ce propos. Il est clair que avec une France scientifiquement et industriellement forte, l'européisme était peut être jouable. L'effondrement scientifique et industriel engagé par le socialisme de Mitterrand et accéléré depuis, les erreurs dramatiques de la politique française notamment lors de la réunification de l'Allemagne ont condamné pour longtemps notre pays à une constante décroissance. Engagé résolument dans le mouvement européen, Giscard n'a pas voulu cette décroissance et il avait donné à la France les moyens pour s'en garantir. L'Histoire a joué contre lui et contre la France.

Il faut reconnaître que la crise économique produite par le choc pétrolier de 1974 a peut être été mal traitée. Avec le programme électro-nucléaire activement soutenu par Giscard, nous avons sûrement été mieux armés que d'autres. Mais, Giscard, avec Chirac puis Barre, n'a peut être pas correctement pris la mesure du choc social que le choc pétrolier a initié, notamment au niveau des licenciements et de la ré-adaptation de la population active.

Le catholicisme manqué

Je voudrais maintenant aborder un aspect probablement mineur de l'époque giscardienne : le rôle du catholicisme.

A l'annonce de son décès, l'Eglise catholique en France a immédiatement réagi avec une sorte de défiance à l'encontre du personnage. On peut citer le "journal officiel" de l'épiscopat, La Croix, qui publie les titres suivants :

  • Valéry Giscard d'Estaing, des relations courtoises mais distantes avec l'Eglise
  • Mort de Valéry Giscard d'Estaing, le président qui n'a jamais dit adieu à la politique
  • Mgr Gérard Defois : « Les rapports de l’épiscopat avec Valéry Giscard d’Estaing étaient très formels »

On peut dire que le catholicisme romain n'a jamais été favorable à Giscard. En fait, dès mai 68, les cadres du catholicisme français avaient choisi le camp socialiste, probablement pour des raisons de pacifisme au début. C'était le temps des campagnes contre les essais nuclaires, ... Puis, ils ont été emportés par la formidable montée mondiale de l'idéologie socialiste réformiste, cette utopie du XIX° siècle selon Engels. Le catholicisme romain était, lors des années Giscard, fortement divisé entre les conservateurs et les socialistes. Les conservateurs ont été horrifiés par la loi Weil. Mais les catholiques socialistes en ont été ravis sans l'avouer. Ce n'est pas la cause de l'échec de 1981, mais cette situation confuse y a participé et elle se voit encore quarante ans plus tard.

Inhumé dans l'Eglise qui le toise avec hauteur, Giscard a eu une échappée intrigante peu après sa défaite de 1981 : il est parti en retraite spirituelle dans un monastère du Mont-Athos qui, comme on le sait, appartient à l'Eglise orthodoxe grecque et pas au catholicisme français. Il n'a jamais détaillé ses sentiments à ce sujet, peut être parce qu'un homme cultivé n'expose pas ses sentiments. Il avait alors une réelle distance avec le catholicisme français. Et cela a sûrement joué dans sa défaite de 1981.

Il faut ici noter que l'opposition des conservateurs à la loi Weil n'a probablement rien à voir avec la "distance" dont les ecclésiastiques se vantent aujourd'ui, eux qui sont complètement acquis aux réformes sociétales initiées avec la loi Weil. Mais en 1981, le catholicisme romain, déjà en décroissance, présentait encore une certaine force sociale qui n'a cessé de décroître après. Le socialisme lui, s'est installé durablement dans la société française et c'est lui qui, depuis la défaite de 1981, nous gouverne quel qu'en soient les noms.

Le passage involontaire au socialisme ...

Un fait me revient en mémoire. Lors de son septennat, Giscard a écrit un essai, Démocratie française. Il y a écrit que, lorsque l'impôt d'Etat dépassait un certain seuil, le régime basculait dans le socialisme. C'est une vérité que Giscard a éprouvé lui-même. Le seuil du taux de prélèvement qu'il avait fixé a été franchi par le gouvernement Barre, pendant son septennat. La France était déjà entrée en régime socialiste. Giscard ne pouvait que partir ...


Revue C-Politix (c) 5 Décembre 2020